De quand datent les histoires du Temps du Rêve Aborigène ?
Les histoires du Temps du Rêve fascinent par leurs dimensions spirituelles, tout autant qu’elles étonnent par leur ancienneté, des origines de la Création jusqu’à nos jours, et cela juste par l’entremise d’une transmission orale entre générations.
Dans notre culture occidentale, tout ce qui n’est pas gravé dans le marbre, dans nos bibliothèques de la connaissance, disparaît bien souvent dans les limbes de l’oubli. On parle souvent d’une frontière autour de la naissance de l’écriture, entre histoire et préhistoire. Avant cela point de mémoire, l’humanité est presque totalement amnésique, excepté dans certaines cultures situées aux antipodes et dominées par une culture orale.
Chez eux, sans écriture aucune mais pas sans l'usage de signes, ces peuples indigènes ont néanmoins transmis leurs connaissances des temps de la Création jusqu'à nos jours. Cette transmission s’opérait lors des rites d’initiation dont les cycles pouvaient durer de 10 à 15 ans. Dans leur culture du partage, les jeunes initiés devaient donner pour recevoir des anciens. Ces échanges successifs permettaient de grandir dans son apprentissage. Pour devenir un grand initié il fallait donc avoir une soif inextinguible de savoir, sollicitant régulièrement les anciens, donnant de son temps, rendant service, offrant les produits de sa cueillette ou de sa chasse.
Le savoir transmis dépendait également du périmètre auquel le jeune initié pouvait avoir accès par son lignage, ses liens familiaux, et ses connections aux territoires. Ce lien à la terre était souvent lié aux endroits où sa mère avait ressenti les premières manifestations d'une grossesse, l'esprit du lieu venant habité celui de l'enfant. Puis plus tard au site où sa mère enfantait, lui donnant alors un nom spécifique qui déterminerait son autorité sur cet espace mais également les alliances possibles.
Un savoir ancestral sans écriture
Chez les Aborigènes d’Australie, le savoir du Temps du Rêve est un héritage des grands Ancêtres, qui ont inventé et modelé le monde dans toutes ses dimensions. Appelé Tjukurpa par les Aborigènes de langue Pitjantjatjara dans le centre de l'Australie, il fut traduit par "Dreaming Time" ce qui conduit l'occident à l'associer à l'onirisme alors qu'il en est assez éloigné.
Les connaissances du Temps du Rêve étaient indispensables pour vivre dans les lieux les plus hostiles de la planète comme les grands déserts du bush australien et structuraient l’espace comme la vie en société. A la fois passeport pour la survie, ce savoir du Temps du Rêve contenait l’ensemble des éléments de la Loi Aborigène, fondant et organisant la vie sociale, les relations entre individus, mais également les liens d’autorité sur le territoire. De façon intime, toute connaissance se trouvait associée à la matrice terrestre, le territoire devenant comme un livre ancestral dont le contenu émerge au fil des pérégrinations. Elles établissent encore aujourd'hui des cartes spirituelles et empiriques toujours célébrées, et tissant des pistes chantées entre ciel et terre, suivies depuis les origines par ce peuple nomade.
Un temps du Rêve immuable et fertilisé
Les occidentaux pourraient considérer ce temps mythologique comme figé dans le passé, attaché comme chez nous aux premiers évènements du monde comme la Genèse. Mais ce n’est pas le cas chez les Aborigènes d’Australie, le Temps du Rêve est comme un autre espace temps à côté du présent, perméable, qui l’accompagne au fil des générations et s’y fertilise. Lors d’évènements fondamentaux opérés sur le territoire comme des bouleversements climatiques, le Temps du Rêve s’enrichit.
Lors de cérémonies, ou des chants rituels sur les pistes nomades, le temps du Rêve est également convoqué au présent, les ancêtres sont là, cet espace-temps y vit comme au premier jour. Quand ce Temps du Rêve est transcrit, relaté, exprimé par un artiste sur une toile, il revit et rayonne dans la peinture. Ainsi cristallisé, il favorise de façon tangible et visible la transmission du savoir aux jeunes générations.
Il y a plus de 12 000 ans, des témoignages du Temps du Rêve
Le peuple Aborigène Ngadjonji se souvient il y a 12 000 ans des éruptions volcaniques de l'ancien volcan, avec de nombreux détails attachés au temps du Rêve et à leurs ancêtres. Sur base de leurs témoignages, il fut découvert par les géologues sous le Lake Eacham.
Les Aborigènes du Nord-Est évoquent comment Fitzroy Island était connectée au continent il y a 10 000 ans avant la grande barrière de corail et constituait une piste chantée du Temps du Rêve. Suivant leurs explications les océanographes découvrent des fonds peu profonds presque ignorés jusque là.
Sur Arte, il y a quelques mois les artistes Aborigènes du Spinifex Art Project étaient interrogés par des anthropologues pour leurs histoires du temps du Rêve liées au déluge. Ils évoquèrent des évènements climatiques et la montée des eaux entre - 18 000 et - 14 000 ans. Un espace de 500 km de terre avant les bordures de l'immense plaine du Nullarbor fut recouvert par l'océan et bouleversa la donne sur le plan géopolitique à l'époque générant de nombreux conflits territoriaux.
La préhistoire fusionne avec l’histoire et les deux ne font qu’un
Il y a quelques années des Aborigènes d’Australie furent reçus en Dordogne comme des chefs d’état et visitèrent Lascaux. Le vrai Lascaux ouvert que très rarement au public. Considérant les animaux et représentations, ils furent très émus. Ils perçurent également des similitudes avec leur culture. Avec curiosité ils demandèrent si une personne initiée pouvait leur expliquer les histoires sous-jacentes ? On leur répondit que ce n’était pas possible car ces œuvres ont plus de 17 500 ans. Ils ne comprirent pas cet obstacle sachant que leur culture continue permet de comprendre des représentations peintes à des périodes plus anciennes en Australie.
Pour en savoir plus sur la culture Aborigène et le Temps du Rêve :
- Barbara Glowczewski, Rêves en colère avec les Aborigènes australiens, Paris, Plon, 2004, 435 p., bibl., index, ill., fig., cartes (« Terre humaine »).