La part invisible de la Création de la Terre : Yirrkala - Arnhem Land
J’en rêvais depuis des années. En raison des distances, des enjeux de transport par bateau et avion, la perspective d’organiser à Bruxelles une grande exposition avec le nord de l’Australie et leurs extraordinaires écorces peintes était comme un challenge.
Puis en juillet dernier le temps était venu de lancer le projet. Je me rendais à Yirrkala en pleine Terre d’Arnhem, dans une vaste zone tropicale de l’Australie en grande partie intacte et non touchée par l’homme. Sur un territoire aussi grand que trois fois la Belgique, vivent juste 3800 Aborigènes Yolngu.
A 17 000 km de la capitale de l’Europe, juste de l’autre côté de la terre, pendant 5 jours, je vais appréhender avec eux leur territoire, chasser en leur compagnie le poisson Barramundi dans la mangrove, munis d’une lance et d’un propulseur sans grand succès.
Les rencontres avec les artistes furent très marquantes. Les observer peindre ces fines lignes d’ocres quadrillés confine à un moment partagé de méditation tant résonne sur l’écorce plane le savoir spirituel de ces grands initiés.
Telle combinaison de couleurs souligne ici le clan de l’artiste. Telle matrice géométrique évoque la part invisible de la Création de la Terre par les grands ancêtres au temps du Rêve. Les évènements sont grandioses, comme cette rivière qui ouvre le ventre de la planète pour inventer un estuaire en des temps géologiques. Derrière des formes taillées en losange comme des diamants, ou disposés en carrés juxtaposés comme les quartiers de New-York city, ou en lignes parallèles tels les scarifications des niveaux d’initiation des anciens, se glissent de façon sous-jacente, codifiée, ce savoir sans cesse célébré depuis la nuit des temps.
Cette exposition est un véritable voyage pictural, au cœur de formes essentielles dont la proximité graphique résonne dans notre propre univers, au delà des frontières, langues et cultures.
A de rares exceptions, les œuvres nous semblent tout d’abord abstraites, proche des codes de notre art contemporain occidental. Et pourtant derrière ces figures géométriques dansantes, s’épanouissent les ancêtres totémiques comme les crocodiles, dugongs ou requins… A l’inverse du désert central australien, la terre est ici luxuriante et généreuse.
Les écorces d’eucalyptus peintes ondulent sous la lumière, et offrent des effets de drapé dignes de l’antiquité romaine. Nous sommes aux confins de la peinture et de la sculpture par les vibrations qui jouent avec les fibres du bois et les nœuds des troncs.
Chaque événement naturel est sublimé et révèle l’écho savant du peuple Yolngu, gardien de cette terre depuis 65 000 ans.
20 artistes de premiers plans nous présentent ici la quintessence de leur art millénaire. Habitués aux cimaises des musées en Australie, à Washington, au British Museum, ou au MET, ils nous offrent ici à Bruxelles la chance d’appréhender leur art de visu.
Agés de 24 ans à 80 ans, ils nous invitent dans un voyage intérieur, au delà des frontières du perceptible, par le vecteur de la noblesse des matériaux d’ocres et de bois et l’infini délicatesse de tracés signifiants.
A bientôt,
Bertrand Estrangin