Ne point se fondre dans le chaudron de la mondialisation : les danses Aborigènes cinétiques
Les chants Aborigènes s’élèvent dans le désert sous la cadence des sticks de bois, heurtés les uns contre les autres dans un bruit claquant. Les corps s’élancent dans une danse rituelle cadencée, aux mouvements presque métalliques, où les pieds frappent bruyamment le sol. La poussière s’élève sous les pas des officiants dans un nuage invitant les esprits à la fête.
Sur la peau des danseurs, les peintures corporelles ondulent, vibrent, palpitent. Elles se déforment, prennent du volume, se creusent en suivant les mouvements de la danse. Les jambes des danseurs composent des formes géométriques itératives et d’autres mouvements codifiées à la cinétique captivante. La poussière de sable s’élève encore et ajoute au mystère.
Un peu plus loin dans les Iles Tiwi, la mélopée aux accents coulants envoute les convives dans la moiteur tropicale des lieux. La fumée du feu virevolte dans l’air. Tel l’encens dans nos contrées, une dynamique solennelle emporte nos sens. La peau se pare des atours les plus subtils avec les peintures corporelles rituelles. Zébrées, vibratoires, triangulaires, elles ornent les jambes et le buste tel un plastron aussi luxueux qu’éphémère. Il a fallu plusieurs heures aux initiés pour parer le corps des jeunes novices.
Au fil de la cérémonie, la composition se craquelle, les contours s’émoussent, bien que les formes grondent encore sur la peau, tremblent et rayonnent sous la chaleur des tropiques. Les motifs ancestraux codifiés y revivent le temps des danses, célèbrent les clans en fonction des lignages et parentés, ou les collectes des tubercules lors de la cérémonie Kulama lors de la dernière lune de la saison humide.
Profane, je me laisse happer et bercer par les chants et les mouvements hypnotiques des corps. Chaque design fait sens. Lors des cérémonies Pukamani, les peintures corporelles permettent aux esprits de bien distinguer les vivants des morts, à travers toutes les volutes des fumées lors de la cérémonie.
Je suis subjugué par cette chorégraphie du bout du monde qui résonne en nous. A la fin de la cérémonie, un jeune vient près de mon véhicule alors que je m’apprête à partir. Nous ne parlons pas la même langue. Avec juste un regard brillant empli d’une grande fierté, il souhaite me montrer son buste peint. Je le félicite avec un pouce levé comme dans l’empire romain. Plus tard, j’apprendrais que c’était sa première participation à une cérémonie.
Beau moment suspendu de rencontre entre cultures. Puissent-elles toujours garder leurs spécificités et ne point se fondre dans le chaudron de la mondialisation.