Dans le sang des Aborigènes coule les gènes des plus grands aventuriers et explorateurs des temps de la Préhistoire. Sans route, chemin, ni tracés, ils parcoururent le monde face à l’inconnu, affrontant tous les dangers et s’établirent enfin aux antipodes, y compris dans les endroits les plus éloignés d’Australie il y a plus de 70 000 ans. Dans une dynamique de fusion avec la terre, ils apprirent à lire ses moindres signes pour inventer des cartes d’itinéraires propres à assurer leur survie également en plein désert. Leur art resplendit depuis toujours de cette lecture immémoriale et ancestrale comme ici avec les Aborigènes Martu.
Décrypter les lignes de faille et les ridules terrestres
Survivre en ces lieux souvent arides, nécessitait une lecture toute particulière du territoire. Les européens qui arrivèrent sur ce continent plus de 65000 ans plus tard, apprirent à leurs frais que le désert ne pardonne pas si l’on ne sait pas trouver l’eau.
Quand les occidentaux cherchèrent à traverser en 1906 les déserts du peuple Aborigène Martu, ils furent désemparés et incapables de trouver l’eau nécessaire à leur survie et à celle de leurs troupeaux.
Peu attentifs à la nature, presque aveuglés par leur perception dominatrice sur celle-ci, comme si nous n’en faisions pas partie, obsédés par l’idée d’une finalité foncière et productiviste de l’espace, ils ne pouvaient la décoder sans l’aide des Aborigènes. Les Martus souffrirent de cette rude confrontation.
Chaque fois que je traverse les territoires Aborigènes les plus éloignés, et prend le temps de m’arrêter et de les contempler, je vois à quel point le moindre signe naturel est facteur de richesse. En compagnie des Aborigènes, nous lisons les moindres anfractuosités et les bouleversements géologiques qui ont bousculé le sol et contribué à faire émerger ici ou là quelques épanchements d’eau à travers des couches d’argiles bienvenues.
Une fracture tellurique dans les sédiments, représentait l’opportunité d’un peu d’ombre ou d’un abri dans la roche. Gratté par la main de l’homme, celui-ci s’élargissait et offrait ainsi un espace de vie pour une famille ou tout un clan. Ailleurs, elle permettait de cacher quelques petits animaux dans des fissures, comme autant de ressources bienvenues. Les outrages du temps offraient ainsi une richesse incomparable que nous ne voyons plus.
Un lien intime et sacré entre la nature et les Aborigènes
Depuis toujours, les Aborigènes ont décodé leur espace, attentifs aux ridules de la terre, aux décrochages rocheux, aux lieux dégagés et rassurant où rien ne pousse par la présence d’oxydes métalliques particuliers.
En suivant les traces laissées par les animaux, ils ont identifié aux origines les trous d’eau visibles indispensables à la vie. En comprenant les phénomènes géologiques, accompagnés d’histoire du Temps du Rêve transformant la terre, ils trouvèrent les trous d’eau également invisibles, à quelques mètres de profondeur.
Avec une sagesse millénaire, l’homme ici garde un lien intime et sacré avec la nature. Il en fait partie et la célèbre à travers les songlines ou pistes chantées qui traversent les territoires Aborigènes. Ce savoir découvert, complété et enrichi par des cohortes de générations sur des milliers d’année fut transmis à travers les initiations jusqu’au présent. Chaque peinture des artistes Martus dans cette exposition, évoque ces lieux de polarité où l’eau émerge et la vie rayonne.
Les Aborigènes premiers cartographes de l’histoire
Les européens ont inventé l’écriture à Sumer au passage du néolithique afin de pouvoir compter et mesurer les récoltes. Les Aborigènes de leur côté, ont investi un autre langage scriptural : l’établissement bien probablement des premières cartes de l’humanité.
Les anthropologues et archéologues retrouvent de très anciens tracés et cartes gravées dans la roche, dont certains peuvent être datés d’il y a 7000 à 10 000 ans. Ailleurs tels des bornes milliaires ou repères topographiques, des blocs rocheux représentent la symbolique d’un trou d’eau adjacent sur le sol mais à peine perceptible.
Leurs peintures y compris aujourd’hui, resplendissent des cheminements nomades à travers les tracés codifiés des ancêtres et évoquent ici ou là les lieux emblématiques du Temps du Rêve.
Dans plusieurs œuvres de l’exposition « Voice of the custodian of the Homeland », les artistes indigènes Martus soulignent : « These paintings shouldn't be read as a straight map of places, waterholes and sandhills. We don't join it up like white fellas might. We put it down the way we see it, feel it, know it and that's not in a straight line. »
Face à ces œuvres l’on ressent l’énergie des forces telluriques, la vibration des lignes de vie suivies par les ancêtres. Les décrochages et ruptures graphiques s'offrent à nous comme une grille de lecture de la plus ancienne culture continue parvenue jusqu’au temps présent, avec sa mémoire fragile et émouvante.
L’exposition « Voice of the custodians of the Homeland » est à découvrir jusqu’au 10 mars à Bruxelles. Plus d’informations sur les œuvres exposées ici.