Quand des artistes contemporains comme l’iconique Damien Hirst reconnaît s’inspirer d’autres courants artistiques, certains crient au plagiat, et rentrent dans le jeu du polémiste. Il faut reconnaître que sa dernière série exposée chez Gagosian à New-York, est extrêmement proche des peintures des artistes Aborigènes d’Utopia.
Il s’en défend, en soulignant plutôt s’inspirer de Bonnard ou de l’impressionnisme européen. On peut en douter au regard de la proximité graphique assez étonnante de ses dernières créations avec les œuvres de l’artiste Emily Kame Kngwarreye.
Ou bien, lui qui doit suivre avec vigilance les palpitations du monde de l’art en général, serait passé à côté de l’exposition remarquée de l’artiste Aborigène à la Biennale de Venise, aux musées nationaux d’Osaka et de Tokyo… ou des nombreuses ventes aux enchères chez Sotheby’s, où l’artiste indigène d’Australie a battu différents records de vente, par ailleurs célébrés par la presse internationale.
L’élégance mériterait qu’il reconnaisse ses emprunts. Il vient d’ailleurs d’évoquer dans le journal Times du 26 avril : « I spot good ideas and steal them ».
Là où certains voient un outrage, finalement il rend presque plus service à l’art Aborigène d’Australie, en soulignant l’extrême différence entre ses œuvres et celles de ce grand peuple nomade.
Les artistes Aborigènes comme Emily Kame Kngwarreye ne sont pas à la recherche de l’esthétisme ou à l’écoute des sirènes du marché de l’art. Avant tout ils célèbrent la Terre, leurs lieux spirituels et ancestraux. Ce qui peut apparaître comme abstrait pour un regard occidental ne l’est point. Les œuvres Aborigènes résonnent de la densité d’un savoir millénaire. Elles conjuguent la mémoire du plus ancien peuple de notre planète. Elles font sens.
Si l’esthétisme est également présent dans une œuvre indigène, c’est bien plus comme l’expression de l’intensité de l’émotion qui connecte un artiste aux histoires sacrées de ses ancêtres, et dont il souhaite témoigner avec sensibilité.
Si l’abstraction nous apparaît dans les œuvres de ces artistes nomades, c’est plus parce que nous ne disposons pas de la grille de lecture appropriée, mais également car ces œuvres ne sont pas figées dans une iconographie itérative. Chaque œuvre connectée au territoire, embrasse bien d’autres dimensions que le lieu dit. Elle se fait passeport des évènements qui s’y déroulent il y a des siècles, aujourd’hui et demain, sans aucune frontière entre passé, présent et futur, tout à la célébration de leur spiritualité du Temps du Rêve qui se joue du temps qui passe.
Là où beaucoup d’amateurs se perdront dans la recherche de la tradition comme un graal d’authenticité, ils oublieront que l’art Aborigène dés le début épouse son siècle : en 1969, les Aborigènes lancèrent le mouvement avec de l’acrylique sur contreplaqué ou toile. Qu’importe le média s’il est au service du message. Ils s'expriment avec ce qui est disponible.
Là où certains rechercheront des signes ou des symboles auxquels se rattacher, ils oublieront l’extrême diversité des cultures et styles Aborigènes à l’échelle d’un pays-continent. Bien au contraire, ce mouvement a aussi une immense amplitude à côté du pointillisme, à travers les rayures rituelles du Raark en terre d'Arnhem chez Maningrida ou les à-plats du Kimberley comme chez Mangkaja Arts ou Warmun…
Là où certains refuseront l’innovation à ces artistes du désert dans une approche presque néocoloniale, ils passeront à côté du fait que la créativité n’est pas destruction, ni un tsunami qui balaye tout sur son passage dans le chaudron de la mondialisation. Le sens de l’innovation qui se développe dans l’individualité d’un artiste Aborigène, lui permet d’être un passeur exemplaire du savoir des grands ancêtres, avec l’audace de son époque et la révélation d’autres dimensions qui n’avaient pas encore été exprimées jusqu’à maintenant.
Tout fait sens dans une œuvre d’art Aborigène dans un champ extrêmement vaste, qui embrasse la loi sociale, le Temps de la Création, les cartographies empiriques et sacrées de la terre et des constellations…
Outre les prix de vente, c'est peut-être cela la différence fondamentale avec Damien Hirst ?