Si Mode Muntu (1940-1985), avait été vivant, je crois qu’il aurait particulièrement apprécié l’exposition qui lui est dédiée actuellement à la Cité Miroir de Liège. Point pour la reconnaissance grandissante de son travail après une exposition hier à la Fondation Cartier à Paris. Cet homme était modeste et n’appartenait pas à l’aristocratie congolaise. Mais plus pour le choix audacieux des conservateurs Aude de Vaucresson et Michael de Plaen : avec cette rétrospective de son œuvre, ils ont établi ici un dialogue passionnant des cultures du monde dans un mouvement plus universel entre des artistes contemporains majeurs.
C’est tout le challenge de cette exposition. En exposant Mode Muntu avec des artistes américains comme Keith Haring, A.R. Penck, et des artistes Aborigènes d’Australie comme Roy Underwood du Spinifex Art Project ou Daniel Walbidi de Bidyandanga, il ne s’agit plus de traiter d’un art tribal ou ethnique, dans lequel les occidentaux rangent bien volontiers l’art Africain, mais bien de souligner les différentes dimensions qui lui donne une place pleine et entière dans l’art contemporain.
Au départ, une intuition. En autodidacte, âgé d’à peine 14 ans, Mode Muntu va commencer à peindre sur papier à l’Ecole des Beaux Arts d’Elisabethville. Dans ses petites œuvres du début il démarre par des points puis embrasse des formes élancées, comme autant de silhouettes qui seront les vigies dans son travail tout au fil de sa vie. Son individualité s'affirme dés le départ. L'école d'art n'aura pas grand chose à lui apprendre et le laissera très autonome. Omniprésentes dans son œuvre, ces silhouettes vont se conjuguer, s’entremêler, et par moment confiner presque à l’abstraction.
Témoin d’une Afrique en pleine transformation, Mode Muntu va cristalliser ce qu’il connaît ou perçoit autour de lui dans sa culture. Sans être un grand initié, d’origine roturière, il sera néanmoins sensibilisé aux histoires et rites de son peuple. Progressivement il deviendra à travers sa peinture presque comme un passeur de son temps et des activités de sa communauté. Chacune de ses peintures traite ainsi d’un thème, des rites de circoncision… à l’esclavage… au calendrier lunaire Luba… en passant par des bestiaires extravagants se confondant avec ses silhouettes et évoquant les esprits.
Les correspondances sont fertiles entre Mode Muntu et le parcours de l’artiste Aborigène Daniel Walbidi également exposé à Liège. Ce dernier se lance comme artiste à 16 ans et va contribuer à créer une communauté artistique avec les anciens de son peuple, âgés de plus de 80 ans. Ses premières œuvres représentent des silhouettes qui disparaîtront au fil de son initiation. Dans certaines peintures elles se devinent néanmoins et se conjuguent presque avec les itinéraires et trous d’eau sacrés Winpa dans le désert aride aux frontières du Kimberley Australien. A 36 ans, son œuvre exemplaire lui a permis d’être exposé au MET à New-York, à l’AAMU à Utrecht, et dans les plus grandes institutions contemporaines en Australie ou aux USA.
L’artiste Aborigène Roy Underwood est également présenté dans l’exposition. J’avais rêvé de voir un jour une œuvre de Keith Haring dialoguer avec lui dans un musée. C’est chose faîte ici dans l’exposition avec Mode Muntu. Les circonvolutions de Roy qui évoque son immense territoire dans le sud de l’Australie, souligne la trace des grands ancêtres ayant façonné ces lieux aux Temps du Rêve. Les empreintes de l’aigle figurent dans l’itinéraire représenté par Roy sur la toile. Les formes combinées évoquent dans un jeu de correspondance, par des entrelacs et des sinuosités, les bestiaires de Mode Muntu, les racines et plantes, dans un dialogue contemporain plus universel tirant sa substance des plus anciennes cultures du globe, où se conjuguent innovation et tradition. Superbe !
A découvrir à Liège à la Cité Miroir
Du 16 mai au 27 août.
Infos : http://www.citemiroir.be