Il y a 20 ans, deux anciens Aborigènes furent invités à témoigner à l’Unesco à Paris. Au sujet : leur art rupestre lié aux esprits Wanjina et Gwion.
Quelques jours plus tard, Paddy Neowarra and David Mowaljarlai du clan Ngarinyin, furent reçus comme des chefs d’état, pour visiter le vrai Lascaux fermé au public.
Ils y retrouvèrent une connexion intime avec leur territoire Wungud. Ils perçurent à Lascaux le mode de vie et les croyances de nos ancêtres communs. Mais ils furent attristés que personne ne puisse raconter et partager l’histoire de cette grotte. La mémoire a été perdue.
Ces derniers jours au Sablon, dans le cadre de notre exposition « Spiritual Essence of the Earth" j’ai eu le plaisir de discuter avec Nicolas Saint-Cyr, véritable "lascaunaute" et grand concepteur du programme scénographique de Lascaux IV.
Il m'a transmit le témoignage de Jean-Pierre Chadelle, archéologue qui a travaillé à Lascaux de 1993 à 1995 et qui a accompagné et guidé cette visite exceptionnelle avec ces nobles représentants des Aborigènes d’Australie.
"Je me souviens de ces Aborigènes du Kimberley. Ils avaient leur propre lecture des fresques. Certes, eux-mêmes peignaient ou avaient peint des animaux d'espèces différentes mais, utilisant les mêmes colorants naturels, ils trouvaient un sens aux couleurs, au rouge, le sang, au noir, autre chose ... S'ils ne furent pas particulièrement surpris en découvrant les œuvres, ils ressentirent toute la puissance, toute l'importance qu'elles pouvaient avoir pour des peuples chasseurs dont, méprisant la course du temps, ils se trouvaient proches. »
Chez les artistes Aborigènes de Warmun, exceptionnelle communauté artistique Gija assez proche du clan Ngarinyin dans le Kimberley, nous retrouvons un usage très élaboré des ocres. Les pierres collectées sont broyées en fins pigments qui sera appliqué par la suite sur les toiles pour célébrer leurs lieux sacrées et histoires du Temps du Rêve.
La granulosité de la matière portée sur la toile, offre une intimité toute particulière avec le territoire comme si nous pouvions nous y connecter et en ressentir les nuances et circonvolutions.
Ces ocres étaient très rares dans certaines régions de l’Australie. Les Aborigènes partaient ainsi à la chasse à l’ocre vers les carrières dont l’accès était possible aux seuls initiés. Ils pouvaient parcourir plus de 1000 kilomètres dans ces quêtes. Un droit de passage devaient même être payé aux Aborigènes gardiens des lieux d’exploitations des pierres.
L'ocre rouge utilisé de façon rituelle dans l'accompagnement des défunts, servaient également à soigner les plaies et à accélérer la cicatrisation chez les Aborigènes, comme chez d'autres peuples premiers du globe.
Contempler ici à Bruxelles ces 35 peintures en pigments naturels ocres est un rare privilège. Ici un Baobab évoque la maternité et se connecte au nouveau né par le placenta placé dans les cavités du tronc d'arbre - l'enfant grandira avec lui et mangera ses fruits par la suite dans une unique connexion. Dans cette autre œuvre, les écailles du poisson totémique barramundi se sont transformées en pierres de diamant et furent convoitées par les blancs à l’origine de la plus grande mine au monde exploitée par Rio Tinto. Plus loin ces 5 cercles concentriques évoquent la création des 5 langues de ce peuple qui différencieront les clans comme avant la tour de Babel…
Nous touchons à l’essentiel, avec la grammaire de matériaux des origines convoquant au présent la mémoire de la plus ancienne humanité.
A ne pas manquer, jusqu’au 3 juillet,
Exposition "Spiritual Essence of the Earth" en partenariat avec la communauté de Warmun.
7 place du Grand Sablon (juste à côté du grand pâtissier Wittamer).
Ouvert tous les jours de 11h à 19h30 au minimum.
Plus d'info ici.